Zina Louhaichy capture un héritage à mi-chemin entre le Maroc et New York dans une série d’autoportraits

Qu’on la suive pour ses créations sous le label Louhaichy, pour ses tenues associant caftans et casquette des Yankees ou pour ses vidéos à cœur ouvert : The diary of a North African Girl in Her 20’s, on constate rapidement que Zina Louhaichy crée un espace d’expression pour les personnes issues de la région MENA et de sa diaspora dans tout ce qu’elle entreprend. Dans ce nouveau projet, la créative new-yorkaise d’origine italo-marocaine joue des marqueurs culturels avec lesquels elle a grandi pour proposer les séries d’autoportraits BLADI (بلادي) et DIASPORA PASSPORT  (جواز سفر الشتات). Il est ici question d’établir, au-delà de l’expression, de nouvelles formes de représentation.

Crédit photo : BLADI (بلادي), par Zina Louhaichy

MAARS : Pourquoi était-il important pour toi de faire ces autoportraits ?


Zina Louhaichy : Ma culture est dans tout ce que je crée. Elle coule dans mes veines. C’est comme ça que je respire. Grandir à New York en tant que fille marocaine et musulmane, c’est un peu comme affronter le boss final d’une crise identitaire. Tu es entourée de 20 millions de personnes que tu ne reverras jamais pour la plupart. Dans une ville aussi vaste j’ai dû me trouver, rester fidèle à mes valeurs et faire en sorte de ne pas me perdre dans le bruit ambiant. Alhamdulillah, ma famille est toujours restée ancrée dans notre héritage, peu importe à quelle distance du Maroc nous nous trouvions.

Avec BLADI (بلادي), je voulais communiquer avec les femmes de ma famille qui m’ont précédée, certaines que je n’ai connues qu’à travers des photos, mais qui vivent en moi. DIASPORA PASSPORT (جواز سفر الشتات) est une continuité de BLADI, une relecture de l’espace entre New York et le Maroc, à travers un nouveau type de passeport, symbole du voyage diasporique entre les deux. Un espace qui appartient à l’un comme à l’autre, sans jamais totalement être l’un ou l’autre.

Crédit photo : BLADI (بلادي), par Zina Louhaichy

Beaucoup des cartes postales marocaines anciennes sur lesquelles je me suis basée ont été créées à l’origine par les Français, et ne comportaient que du texte en français. Dans ma version, moi — une femme marocaine — je reprends cet espace aux côtés d’autres femmes racisées. J’ai tout fait moi-même : photographie, montage, direction artistique. J’y ai inclus l’arabe, le français et l’anglais pour refléter les identités superposées que nous portons en tant que Marocains. En me référant aux femmes de mon pays qui se sont dressées face à la colonisation, aux révolutions, aux épreuves, BLADI est une célébration de leur résilience et de leur sacrifice. C’est ma façon de les honorer par la beauté, la puissance et la vérité.

Je fais tout pour les miens. En tant qu’actrice, créatrice, écrivaine et réalisatrice, je sais que c’est mon devoir de créer de l’espace pour les artistes nord-africains et moyen-orientaux dans tout ce que je fais. Je m’efforce de collaborer avec les talents puissants et émergents que notre communauté a fait naître parce que nous avons tant à offrir. Nous sommes les prochains. Nous sommes là.

Crédit photo : BLADI (بلادي), par Zina Louhaichy

MAARS : Comment as-tu choisi les symboles présents dans tes photos ?


Z.L : Je voulais explorer comment, en tant qu’enfants de la diaspora, nous construisons notre identité à partir de souvenirs familiaux auxquels nous n’avons jamais réellement participé. Ces souvenirs, qu’on en ait conscience ou non, nous façonnent aujourd’hui.

Il y a une beauté intemporelle dans les cartes postales marocaines du début du XXe siècle, quelque chose qui semble perdu dans notre monde actuel, rapide et obsédé par l’instantanéité. Avec BLADI, je voulais fusionner passé et présent, connecter mes deux foyers : New York et le Maroc.

Crédit photo : BLADI (بلادي), par Zina Louhaichy

Chaque pièce que je porte dans BLADI est liée à ma famille. Je tiens le Coran de mon père—le même que ma Meema lui a offert quand il avait 18 ans, juste avant qu’il quitte le Maroc pour New York. Ce geste est à la fois symbolique et physique : je porte l’histoire de ma famille. Je porte mon identité sur moi, fièrement, mes mains ornées de henné, avec des symboles de mes deux foyers : l’étoile du Maroc sur la main gauche et le logo des Yankees de New York sur la main droite. Je suis habillée avec des pièces qui me relient au passé de ma famille, comme une takchita qui me rappelle mon arrière-grand-mère, Allah yerhamha (الله يرحمها). Je deviens ainsi le pont entre les générations.

Crédit photo : DIASPORA PASSPORT (جواز سفر الشتات), par Zina Louhaichy

Crédit photo : DIASPORA PASSPORT (جواز سفر الشتات), par Zina Louhaichy

Dans DIASPORA PASSPORT, je revendique pleinement les deux parties de mon identité. Je porte une casquette Yankees, designée par Opiyel, en rouge et vert du Maroc, ainsi que le top Noire Lace Belle de ma marque Louhaichy (لوحيشي). Sur le dos de ma main gauche, un tampon de passeport en henné indique "المغرب" (Maroc), avec des symboles amazighs, et sur la main droite, des tampons des États-Unis et du Maroc. À travers cette imagerie, je porte mon identité sur mon corps—je reprends possession de l’espace entre mes deux foyers. Appartenir partout et nulle part, tout à la fois.

Crédit photo : DIASPORA PASSPORT (جواز سفر الشتات), par Zina Louhaichy

MAARS : Quelle place donnes-tu à tes cultures (marocaine et américaine) dans ton art ?


Z.L : BLADI signifie "ma patrie" en darija. Et pour moi, le foyer est partout—il existe dans les symboles, les lieux, les liens qui m’ont façonnée. Quand j’ai partagé BLADI et DIASPORA PASSPORT en ligne, j’ai réalisé combien d’autres Nord-Africains se reconnaissaient dans ce projet. En tant qu’enfants de la diaspora, beaucoup de nos familles ont migré vers les États-Unis ou l’Europe pour trouver des opportunités. Et pourtant, en Amérique, on ne nous considère jamais comme pleinement Américains. Et au Maroc, on ne nous voit pas comme complètement Marocains non plus.

Alors que fait-on ? On vit entre les deux. Mais à travers mon art, j’ai trouvé de la fierté dans cet espace. New York et le Maroc ont fait de moi ce que je suis—et je ne renoncerai à aucun des deux.

Crédit photo : DIASPORA PASSPORT (جواز سفر الشتات), par Zina Louhaichy

L’identité ne se résume pas à un passeport ou une carte d’identité. Au fond, c’est là où tu trouves ton foyer. Pour moi, le foyer n’est pas seulement un lieu. C’est un symbole. Un son. Un souvenir. C’est le logo des Yankees. C’est Casablanca au lever du soleil, quand l’appel à la prière résonne dans les rues calmes. C’est passer des heures avec ma Meema à essayer d’améliorer mon darija, frustrée de me tromper encore et encore—mais persévérer quand même.


Crédits

Shot in London, 2025
Concept, Direction, Photography, Modeling, Graphic Design, and Editing by:
Zina Louhaichy @zinalouhaichy
Styling by:
Yesmine Naili-Douaouda @enimseyy & Zina Louhaichy
Camera Operated by: Anais Stupka @anaisstupka
Henna by: Ruqaiyyah Patel @ruqaiyyahboo

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