ATLAL FROM GALBI, une marque qui vient du fond du cœur
À quelques jours de la sortie de la collection SS25, An Impression, Lilia Yasmin parle de ses influences, de sa culture algérienne qu'elle revendique sans s’y enfermer, et de son besoin profond de créer un langage visuel qui parle à celles et ceux qui ne se voyaient nulle part.
Crédit photo : par Anis Belarbi, ATLAL FROM GALBI, collection seasonless 2024, haut matelassé et jupe longue Aswad
Min galb Lilia
MAARS : Comment décrirais-tu ATLAL FROM GALBI ?
Lilia Yasmin : Ma marque a pour vocation d’être intemporelle, et j’espère qu’elle marque les esprits autant par ses vêtements que par sa direction artistique. ATLAL FROM GALBI dépasse le simple cadre du prêt-à-porter : je la conçois comme un vecteur de transmission culturelle — qu’il s’agisse de cinéma, de littérature ou de musique — à travers les références que j’y insuffle au fil des collections. J’aimerais qu’elle devienne une occasion pour chacun de s’informer, de découvrir et d’apprendre.
MAARS : Quelle était la place du vêtement dans l’environnement dans lequel tu as grandi ?
L.Y : J’ai grandi à Paris, mais j’allais très régulièrement en Algérie parce que mes parents sont nés là-bas et que mes grands-parents y vivent toujours. C’est principalement par le biais de ma grand-mère que mon intérêt pour la mode est né : chaque mercredi, lorsqu’elle me gardait, nous allions au marché acheter des tissus pour faire des robes, du linge de maison, etc. J’aimais aller chez la couturière, voir les tissus et les paillettes, cela m’a toujours beaucoup inspirée.
En grandissant, je n’irai pas jusqu'à dire que j’étais une “fashionista” mais je m’intéressais beaucoup à la mode. Même sans les réseaux sociaux, je me débrouillais pour m’informer en regardant les défilés, en lisant des blogs et en achetant des magazines. Après mes études d’économie à Paris, j’ai voyagé, et c’est aux États-Unis que j’ai ressenti l’envie de faire mes premiers pas dans l’univers de la mode à travers des stages. Comme mon parcours était davantage axé sur la finance que sur la création, j’ai d’abord postulé à des stages dans la partie "business" du secteur. Ces premières expériences ont été ma porte d’entrée dans le milieu, et elles ont nourri ma réflexion entrepreneuriale. J’ai eu envie de créer ma propre marque de vêtements, car selon ma vision, il manquait encore beaucoup de choses dans la mode.
Crédit photo : ATLAL FROM GALBI, collection SS25 An Impression
MAARS : Que manquait-il selon toi ?
L.Y : J’avais envie de porter des vêtements et accessoires liés à ma culture, sans pour autant que ce soient des pièces traditionnelles. J'observais des créateurs reprendre de nombreuses références nord-africaines, mais sans jamais mentionner leurs sources d’inspiration ou les pays en question. Moi, comme j’avais cette culture là, je les reconnaissais immédiatement, et je ne trouvais pas cela normal. En 2015, la mode des vêtements avec des écritures russes, japonaises ou autre a débuté, et je me demandais sans cesse pourquoi les écritures arabes n’en faisaient pas partie. Même en termes d’images et de casting, on commençait à voir apparaître des figures comme Virgil Abloh par exemple, mais pas des Arabes.
MAARS : Tu as déclaré à plusieurs reprises être très inspirée par Virgil Abloh et Oum Kalthoum. Qu'as-tu tiré de chacun d'eux pour créer ATLAL FROM GALBI ?
L.Y : Ce qui m’a inspiré chez Virgil Abloh c’était cette idée d’incorporer à la fois la culture streetwear et la culture africaine dans le monde du luxe. Je pense notamment à une collection sur laquelle j’avais travaillé lorsque j'étais en stage chez Vuitton, ils y avaient mis un drapeau de l’Afrique du Sud sur des manteaux et de la maroquinerie. À ce moment-là, j’ai compris qu’un changement était en train de s’opérer, parce que Louis Vuitton reste une maison très ancestrale, et Abloh avait réussi à insuffler cela.
Concernant Oum Kalthoum, j’ai été grandement inspirée par son pouvoir. Mais il n’y a pas qu’elle, je pense à Warda aussi, à toutes les divas arabes. Dans les années 1950-60, elles étaient des femmes de pouvoir, que l’occident tenait vraiment en exemple. Aujourd’hui, la femme arabe n’est plus du tout décrite ainsi par l’Occident, surtout en France. C’est une problématique beaucoup plus sociétale et politique, et ma vision créative en constitue en quelque sorte une réponse.
Crédit photo : par Anis Belarbi, ATLAL FROM GALBI, collection seasonless 2024
“En tant que designers arabes, nous sommes des créatifs comme les autres. Nous avons notre propre culture, que nous souhaitons partager et mettre en lumière, mais cela ne signifie pas pour autant que chacune de nos créations sera systématiquement liée au monde arabe.”
MAARS : L’Algérie regorge d’une grande diversité culturelle, que ce soit par exemple dans le cinéma ou la musique. Comment ces influences se reflètent-elles dans tes créations ?
L.Y : Cela se reflète directement dans le nom de la marque : le mot “galbi”, qui signifie mon cœur en arabe, je l’ai choisi parce qu’il est régulièrement utilisé dans le raï, genre musical où on retrouve souvent des chansons d’amour. Ces influences sont présentes dans les photographies, les coiffures, le make-up, elles se retrouvent aussi bien dans la direction artistique globale que dans les vêtements. Cela se traduit dans des petits détails, je pense notamment aux boutons que je sélectionne toujours avec un style bijoux : dorés et avec des pierres. Ils me font penser aux bijoux que je porte, que ma grand-mère porte, et à ceux que les femmes arabes portent en général.
MAARS : Ta marque semble profondément influencée par tes origines sans s’enfermer dans une seule identité. Comment arrives-tu à célébrer ta culture tout en affirmant une vision créative plus globale ?
L.Y : La proximité avec mes origines a toujours été présente. Avant d’avoir ATLAL FROM GALBI, je prenais souvent des photos lorsque je venais en Algérie. J’étais inspirée par la culture, les paysages et la nourriture aussi. La marque est une extension de moi, donc elle regorge de références culturelles qui sont les miennes. Pour autant, même si mes inspirations viennent de là-bas, je ne souhaite pas qu’ATLAL FROM GALBI soit définie comme étant essentiellement une “marque arabe”. Peut-être que dans dix ans, j’irai au Brésil, j’en serai inspirée, et j’en créerais une collection. Je ne veux pas m’enfermer dans des catégories, même si je comprends que chacun puisse avoir sa propre interprétation. Mais pourquoi toujours vouloir nous mettre dans des cases ? En tant que designers arabes, nous sommes des créatifs comme les autres. Nous avons notre propre culture, que nous souhaitons partager et mettre en lumière, mais cela ne signifie pas pour autant que chacune de nos créations sera systématiquement liée au monde arabe. Nous faisons partie d’un écosystème global, mais nous ne nous résumons pas à cela.