De la musique à l’espace, Moonshine n’attend pas demain pour raconter l’Afrique
Le collectif dévoilait en mai dernier le 6ème volume de leur mixtape SMS for Location. Figurant comme leur projet le plus abouti à ce jour, le nouvel opus reflète une période de rélexion créative intense à travers l’Afrique de l’Est et voit sa sortie accompagnée du court-métrage documentaire Zaïre Space Program Act. II. Tantôt DJs, designers, organisateur.ices de soirées accessibles que par sms ; mais toujours conteur.ices d’histoires. Rencontre avec San Farafina, Pierre Kwenders et Hervé Kalongo pour parler de leurs dernières sorties, de l’ingénieur aérospatial Jean-Patrice Keka et des références derrière leur dernière mixtape.
Crédit photo : collectif Moonshine, photo de Schaël Marcéus
SMS for Location
MAARS : SMS for Location Vol.6 semble être votre projet le plus ambitieux à ce jour. Pour cette édition vous vous êtes davantage concentrés sur les régions d’Afrique de l’Est et du Sud, comment avez-vous abordé cette nouvelle exploration sonore ?
MOONSHINE (Pierre Kwenders) : C’est certainement le projet le plus ambitieux, surtout avec la panoplie d’artistes que l’on retrouve. Quand on commence à travailler un projet, on met toujours à peu près le même niveau d’énergie, d’intensité et d’intention. On souhaite toujours aller encore plus loin, ouvrir encore plus de portes et bâtir encore plus de ponts entre la diaspora et le continent. Je pense que c’est vraiment ce qu’on a essayé de faire avec ce projet.
MOONSHINE (Hervé “Coltan” Kalongo) : Je pense que c’est aussi toute l’expérience et ces dancefloors qu’on a arpentés ces dernières années qui font qu’on voit le fruit de ce travail sur le volume 6. On a toujours été fans de DJ Lag, ça doit faire au moins 8 ans que son mouvement a pris un envol international (mouvement musical gqom ndlr) et finalement on a réussi à pouvoir l’avoir sur le projet. Il y a aussi les gens du singeli, Lamsi et son crew, c’est un peu spécial car il faut carrément être sur place pour comprendre le mouvement. On a eu la chance d’aller à Zanzibar pour comprendre ce qu’est socialement le singeli. Donc oui, c’est effectivement le projet le plus ambitieux, je pense que c’est notre meilleur projet à date.
Crédit photo : pochette de Monkey Effects, SMS for Location Vol.6, Moonshine, DJ Lag
MAARS : Est-ce qu’il y avait des particularités par rapport à la construction des précédents projets ?
MOONSHINE (Hervé “Coltan” Kalongo) : Il y avait trop de pépites (rires), je pense que si le monde était un peu ADHD on aurait carrément pu faire un double, voire un triple-disque. C’était difficile de couper. Je pense que dans les styles de musique que Moonshine défend, il n’y a pas nécessairement de règle sur la durée ou la rapidité des chansons. C’est plutôt le mood, ce que ça représente. Le plus gros défi était surtout d’obtenir un projet qui soit assez concis avec du storytelling et du sound design.
MAARS : Vous mentionniez justement DJ Lag, sur SMS for Location Vol.6 on retrouve une variété d’artistes allant d’Adonis Bosso à Love Lokombe en passant par UNIIQU3, comment avez-vous sélectionné les titres apparaissant sur la version finale de la mixtape ?
MOONSHINE (Pierre Kwenders) : Tout est dans le storytelling. C’était important pour nous qu’il y ait une histoire qui soit racontée tout au long du projet, que les gens comprennent et ressentent ce que c’est la vibe de Moonshine.
MAARS : D’ailleurs pour vous, qu’est-ce que Moonshine?
MOONSHINE (San Farafina) : Je pense qu’on est beaucoup de choses. D’abord, c’est un groupe d’ami.es, un collectif de créatif.ves qui essaie d’amplifier certaines facettes de la culture africaine, afro-caribéenne et afro-diasporique. On existe dans la musique avec notre label, mais aussi dans la mode et le cinéma. Désormais, on existe aussi au travers des actes I et II du Zaïre Space Program. On a pas mal de membres à travers le monde, en particulier à Paris et à Bruxelles.
Crédit photo : pochette de SMS for Location, Vol.6
MAARS : Pour accéder à vos fêtes, tout se passe par sms. Cette spécificité est une partie intégrante de l’ADN du collectif. Quelle place ont vos événements dans l’écosystème de Moonshine ? Et comment ces moments physiques nourrissent-ils vos projets artistiques ?
MOONSHINE (Hervé “Coltan” Kalongo) : Je pense que c’est vraiment quelque chose que notre partenaire Félix a beaucoup poussé. Au départ, si on a commencé à faire ça par SMS, c’est parce qu’on faisait des fêtes qui duraient jusqu’à très tard. À Montréal, le couvre-feu est à 3h du matin. Donc pour aller vraiment loin dans la nuit, nos potes arrivent vers 1h du matin, on trouvait plus pratique d’avoir une relation directe avec notre public, sans dépendre des réseaux sociaux. Félix s’est vraiment impliqué dans la partie tech : le site, la com… Il voulait pousser cette approche.
Puis, le fait que les gens doivent demander l’adresse crée une sorte de communauté restreinte. On a l’impression de tous se connaître. C’est aussi une forme de protection face au monde extérieur. Donc on essaie de reproduire ce schéma partout où on va, de Bruxelles à Lisbonne. Il faut que notre public puisse nous contacter directement, nous dire si quelque chose ne leur plaît pas, etc.
C’est devenu fondamental dans notre ADN. On a “SMS for Location” écrit partout. Cette idéologie se retrouve aussi dans notre musique : dans certains morceaux, on entend un téléphone sonner, ou même l’enregistrement d’un appel quand on compose le numéro. Bon, certains promoteurs n’aiment pas ça, trouvent que c’est risqué. Ils veulent que tout soit clair. Mais nous, on défend cette part de secret.
MOONSHINE (San Farafina) : Au début, on utilisait carrément le numéro personnel d’Hervé. Parfois, on n’avait pas de lieu jusqu’à la veille de l’événement. Donc le système de sms était pratique parce qu’on n’avait tout simplement pas d’adresse à annoncer avant le dernier moment. Ça a été une manière d’établir un contact direct, de contourner les algorithmes des réseaux sociaux.
From Kin la Belle to the Moon
Crédit photo : affiche Zaïre Space Program, Act. II
MAARS : Le court-métrage Zaïre Space Program Act. II est entre le documentaire, la fiction spéculative et le road movie. Pourquoi Kinshasa occupe-t-elle une place aussi centrale pour le collectif ?
MOONSHINE (Hervé “Coltan” Kalongo) : Beaucoup de personnes du collectif viennent du Congo et Kinshasa nous inspire au quotidien. L’intention était d’amplifier ce qui existait déjà, sans prendre un morceau de la scène ou imposer quoi que ce soit. L’Afrique se suffit à elle-même. Le Congo se suffit à lui-même, il n’a pas besoin de nous. Le projet est une exploration de l’art et de la technologie en Afrique. Le but est d’inclure à termes le continent et toutes ses diasporas, il était juste plus simple pour nous de commencer par le Congo parce qu’on y a des ressources, de la famille. Tourner pendant six mois coûte une fortune pour un collectif comme Moonshine. Il était donc plus facile d'aller chez Pierre ou moi, d'y inviter nos potes et de travailler sur le projet.
MOONSHINE (San Farafina) : Moonshine est très congolais (rires). La rumba congolaise a façonné la musique africaine. Les Congolais.es sont très fier.es de leur musique, le fait de commencer le court-métrage là-bas prend donc tout son sens.
MOONSHINE (Pierre Kwenders) : Et puis il y avait cette histoire du programme spatial du Zaïre, que la mère d’Hervé lui racontait souvent. On l’entend dans le film d’ailleurs. C’était important pour nous de rendre hommage, de revenir à l’histoire et de voir ce qui s’est passé depuis.
MOONSHINE (San Farafina) : Hervé me racontait cette histoire autour du programme spatial et comment Mobutu, tout dictateur qu’il était, avait tenté de lancer une fusée. Ça ne s’est pas bien passé et à l’époque tout le monde s’était moqué. C’était devenu la risée alors qu’il n’y a rien de mal à essayer. Il est essentiel de raconter ses propres histoires, de forger son propre récit. Si tu laisses les autres faire, ils tournent ça en ridicule. Alors qu’en regardant de plus près, tu devrais être fier.e qu’un programme spatial ait existé, qu’une fusée ait été lancée, même si cela a échoué. La prochaine fois, ça ne ratera peut-être pas. Et c’est tout l’esprit du court-métrage documentaire.

 
             
             
             
            