Céline Dessberg : “Pour me présenter au monde, il fallait que je comprenne qui j’étais.”

Direction artistique et photographie d’Axel Duc Khôi Manceau, make-up par Mahë — Interview de Sandra Dibansa

La voix vaporeuse de Céline Dessberg a la douceur d’un été qui s’attarde, d’une mélancolie légère dont on garde l’empreinte. Cette légèreté, l’artiste la guide au son du yatga, harpe mongole à 21 cordes qu’elle a apprise en autodidacte après que sa famille lui en a offert une. De ses débuts à la préparation de son premier album, l’entretien retrace le parcours déjà prometteur de l’autrice et interprète de Chintamani. Une conversation accompagnée des clichés d’Axel Duc Khôi Manceau, où Céline porte des vêtements traditionnels mongols.

MAARS : Comment as-tu débuté la musique ?

Céline Dessberg : J’ai commencé avec des cours de guitare classique espagnole au conservatoire quand j’avais 10 ans environ. Mais l’environnement était assez hostile. C’était très stricte et peu diversifié, je n’y étais pas à l’aise. Vers 13 - 14 ans, j’ai commencé à composer mes propres morceaux à la guitare, à écrire. Ensuite, j’ai appris le piano en autodidacte. Puis à la fin du lycée ma famille en Mongolie m’a offert un yatga, qui est une harpe mongole traditionnelle. Je l’ai ramené en France, mais il n’y avait pas de professeur.e de yatga, j’ai donc commencé à y jouer seule. C’est un instrument qui a 21 cordes, donc j’avais des facilités grâce à la guitare et au piano. 

Je faisais des petits concerts ici et là, mais dans ma tête je n’arrivais pas à envisager le fait que la musique puisse être une option possible. Personne dans mon entourage ne vivait de ça. Puis, plusieurs opportunités se sont présentées lorsque j’étais à la fac. J’avais l’impression de perdre du temps en cours, en essayant d’être forte à quelque chose qui ne me convient pas ; alors que la musique était le seul domaine dans lequel j’arrivais à être perfectionniste. Au moment où j’étais prête à me lancer, tout a été stoppé par le confinement. En attendant, j'ai effectué un programme d’accompagnement d’artistes qui dépend de la Mairie de Paris. Le dispositif s’appelle Créart’UP, il regroupait aussi bien des personnes qui font de la musique, que du théâtre ou du design. Grâce au financement de mes heures de studio j’ai pu enregistrer mon premier EP.

Céline porte un dan deel et une paire de gutal, bottes traditionnelles mongoles.

“ Je me suis rendu compte que j’étais issue d’un mélange de cultures, car instinctivement, j’avais envie de porter sur scène des vêtements mongols. Ce sont les plus beaux, à en être impressionnants. Je m’étais tellement répété qu’il fallait que je sois blanche pour être intégrée à la société française que j’en avais oublié cette part de mon identité. ”

Pour me présenter au monde, il fallait que je comprenne qui j’étais. En ayant grandi dans une ville pas du tout diversifiée en Bretagne, j’avais essayé de mettre de côté mes origines mongoles pour me fondre dans la masse. Je mettais toute mon énergie dans le fait d’être comme les autres afin de pouvoir m’intégrer. Je me suis rendu compte que j’étais issue d’un mélange de cultures, car instinctivement, j’avais envie de porter sur scène des vêtements mongols. Ce sont les plus beaux, à en être impressionnants. Je m’étais tellement répété qu’il fallait que je sois blanche pour être intégrée à la société française que j’en avais oublié cette part de mon identité. Et inconsciemment, il y avait aussi dans les morceaux que je créais des mélodies venues des musiques de mon enfance.

En 2021, j’ai rencontré à Paris davantage de personnes issues du milieu musical, dont les parents avaient mené avec succès des carrières artistiques. Même si leur univers m’était totalement étranger, j’ai pu y voir des modèles de représentation, ce qui m’a aidée à renouer avec mon identité. Ce cheminement est aussi passé par des séances chez le psy. À Paris, l’accueil réservé à ma musique était plutôt positif, mais l’intérêt restait limité. La scène pop des nepo babies est très mise en avant, mais si tu es un.e artiste asiatique, sud-est asiatique ou sud-asiatique, on te prête rarement attention. J’ai ensuite eu la chance de retourner en Mongolie, où j’ai donné plusieurs concerts. Initialement, j’y allais pour deux mois afin de voir ma famille, mais l’accueil a été si chaleureux que de nombreuses opportunités se sont présentées. Finalement, je suis restée presque six mois. Après, j’ai voulu explorer la scène londonienne, où la communauté asiatique est plus ouvertement visible ou plus amenée à être solidaire, ce qui aide à tisser des liens d’amitié forts.

Céline porte un deel, longue tunique croisée et à manches longues.

MAARS : Tu disais précédemment que plus jeune, tu avais du mal à t’imaginer artiste. Dans la série photo qui accompagne cette interview, tu portes des vêtements traditionnels mongols dont certains ont été réalisés par ta tante, Nasantogtokh Dorj. Quel rôle a-t-elle joué dans le fait de te voir et de te penser comme artiste ?

C.D :  Ma tante fait de la couture, j'ai aussi un frère qui fait de la calligraphie, une cousine qui fait de l’architecture, un oncle qui était sculpteur et qui a décoré un temple entier, ainsi qu’une nièce artiste peintre. Beaucoup de membres de ma famille sont très créatifs. De voir leur aisance à tout créer de leurs mains m’a aidé à parfaire mon goût pour l’art. Après ma famille vit en Mongolie, ce n'est pas la même économie même si la vie y est bien plus difficile. Ici, on est vraiment formaté à travailler dans un bureau pour rembourser un prêt.

J'ai grandi à une époque où les filles à la télé étaient Britney Spears et Lorie. J’ai le souvenir qu’en maternelle on préparait un spectacle sur le conte Emilie Jolie. Je souhaitais interpréter Emilie car j’aimais déjà beaucoup chanter, mais la maîtresse avait refusé car je n’étais pas blonde aux yeux bleus. Finalement, ils ont pris une autre fille qui n’avait pas forcément envie de jouer le rôle. C’est badant qu’à 4 - 5 ans on nous mette de tels stops. Je pense que si Aya Nakamura était déjà là quand j’étais enfant, même si elle n’est pas asiatique, ça aurait tout de même été une figure à laquelle j’aurais pu m’identifier car elle n’est pas blanche, blonde aux yeux bleus. En France, il y a aussi une grande sous-représentation de la Mongolie. Quand j’en parlais enfant, les gens associaient directement le pays à la trisomie 21 ou me considéraient comme Chinoise.

MAARS : Ta musique donne une grande place aux instruments. De quelle manière les incorpores-tu dans ton processus créatif tout en gardant une place pour le chant ?

C.D : C’est en composant que je vois dans quel état d’esprit je me sens. Je vais ensuite trouver des mélodies et décider d’en chanter certaines. L'écriture des textes passe en dernier, car c’est une fois que j'ai posé l'atmosphère que je commence à parler. Quelque part, j’apprends à me connaître grâce à la musique, car je réalise la nature de mes sentiments seulement quand la chanson est finie.

MAARS : Que ce soit dans les instruments ou les titres de tes chansons, on a l’impression que la place que tu donnes à tes origines mongoles évolue et devient de plus en plus visible. 

C.D :  Quand j’ai commencé, je faisais plus de pop parce que la musique mongole n'est pas quelque chose que tu peux faire n'importe comment. Il y a énormément de règles, même si elles ne sont écrites nulle part. Par exemple, le yatga se joue presque exclusivement de façon traditionnelle. Donc plus je m’améliorais en technique, plus j’étais à l’aise pour faire de la musique mongole. 

L’introduction de mon héritage vient aussi du fait de s’affirmer. Quand tu es une femme et que tu fais de la musique tu as parfois peur de déranger car nos voix ne sont pas beaucoup écoutées. D’autant plus que mon premier EP est sorti à une période où je ne me connaissais pas encore, tout cela se reflète dans les titres. Lorsque je suis restée en Mongolie pendant six mois, j’ai collaboré avec plusieurs artistes locaux, je me suis alors sentie plus légitime. J’ai également commencé à avoir une fanbase mongole, j’ai eu envie de plus parler en mongol pour m’adresser à eux.

MAARS : Ton dernier single s’appelle Chintamani. Plusieurs définitions existent selon la culture et le contexte. Que signifie pour toi ce mot ?

C.D :  Ma famille en Mongolie est bouddhiste. Je ne me considère pas comme une personne religieuse, mais leur éducation m’a transmis quelque chose de très ancré. D'après ce que j'ai appris auprès d’eux, Chintamini représente un trésor qui exauce des vœux. Dans les représentations bouddhistes, c'est une sorte de bulle qui n’a ni couleur ni odeur. Je pense que ça a aussi un lien avec l'eau. Dans cette chanson, je voulais célébrer l'eau sur la planète, que l’on ne respecte pas et ne considère pas à sa juste valeur. D’ailleurs c’est amusant, car j’ai l’impression que cette chanson a un peu exaucé mes vœux. Elle m'a permis d'avoir une voix qui porte très loin. Et puis ce morceau est vraiment pour tout le monde. Il y a des personnes totalement différentes qui l’écoutent et qui se l’approprient, ça me fait un bien fou.

MAARS : C’est d’ailleurs ton titre le plus écouté, avec plus de deux millions de streams. Tu as sorti en même temps un autre morceau, Selenge. Ce nom a une signification particulière pour toi ?

C.D :  Oui, Selenge est mon prénom mongol. Mes parents m’ont ensuite appelée Céline, car c’est le prénom français le plus proche phonétiquement. Tous mes frères et sœurs portent des noms de rivières. Selenge désigne à la fois une rivière et une région du Nord de la Mongolie.

MAARS : Quels sont tes projets à venir ?

C.D : Récemment j'étais aux Etats-Unis, au studio du label avec lequel j'ai sorti les deux derniers singles. On a enregistré en 1 mois un album qui sortira l’année prochaine. J’étais hyper impressionnée par moi-même lorsque j’écoutais les morceaux car on enregistre tout en live. D’abord je compose, puis on joue le titre 2-3 fois, puis on enregistre à la pellicule. Cette méthode nous force à être ultra exigeants parce qu’on ne peut pas refaire les prises. 

J’aime beaucoup à propos de cet album le fait que le yatga a une place centrale. Il y a des chansons en mongol, en français, d’autres sont seulement instrumentales. L’un des morceaux en français parle des femmes nomades qui vivent dans le désert. La vie y est tellement dure que, souvent, leurs hommes partent travailler en ville, les laissant seules avec les enfants. Une autre chanson évoque les montagnes, je l’ai écrite lorsque j’y étais en Mongolie. Sur un autre titre, je parle d’Oulan-Bator la capitale de la Mongolie. Il y a aussi une chanson en mongole qui parle du monastère d’Erdene Zuu.

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